"Dessine
moi un Poisson" par Louis
VAISSE
Super, j’étais seul..
Seul à La Verne, la petite plage
de galets que j’aimais fréquenter.
Il faut dire que la « saison », comme on dit, était
largement finie.
Presque tous retournés dans le Nord, les touristes laissaient
la côte libre,
surtout les endroits où les rochers risquaient de leur abîmer
les petons. Et,
dans la semaine, les "locaux " étaient au boulot.
Il faisait si
chaud que tous comptes faits j’avais décidé de
mettre les pieds
dans l’eau.Le dos appuyé à un rocher, histoire
de cultiver le coup de soleil
que je trimbalais depuis la fin Aout, mon livre appuyé sur
mes genoux repliés.
Les vaguelettes me chatouillaient le dessus des pieds.J’étais
perdu dans mon
livre, m’imaginant comme d’habitude à la place
du héros, qui, sur la page que
je parcourrais, ne faisait pourtant pas grand-chose d’intéressant.
Pour tout
dire, il m’ennuyait un peu, voire beaucoup, et j’avais
du mal à rester concentré.
Décidemment, Mickael Wallback, c’était duraille
(*)
Une chatouille
plus prononcée que les autres me fit jeter un regard entre
mes pieds.
Et j’y vis un genre de poisson avec une tête assez bizarre,
et surtout une couleur
étonnante : je regardais un poisson ...bleu ! Encore plus étonnant,
il avait les
yeux rouges !
Des yeux qui d’ailleurs, comme le dessus de sa tête, était
hors de l’eau. C‘était ses
nageoires latérales qui me chatouillaient les pieds. Normalement,
j’aurais du faire un
bond. Mais je suis resté tranquillement assis : il avait rien
du requin, mon poisson.
A peine une vingtaine de centimètres ? En fait, je me demandais
s’il n’était pas
en train de s’échouer, comme les baleines qui perdent
le nord.
D’ailleurs,
je lui posai carrément la question :
« Tu vas te noyer, là, non ? ce serait con pour un poisson
! ». J’ai l’habitude de parler
aux bêtes. Aux chats, aux chiens, aux oiseaux. En règle
générale, ils me regardent,
ont l’air d’écouter poliment, et surtout, surtout,
ils ne me contredisent jamais !
Ben celui là, il m’a répondu...
« Non, ça
va. Après tout, tu as les pieds dans l’eau, toi ? Pourquoi
je n’aurais pas la
tête dans l’air ? »
Un peu étonné quand même, j’ai décidé
de me payer un peu sa tête.
« Dis donc, t’as fumé quoi, pour avoir les yeux
si rouges ? du varech de Mauritanie ? de la posidonie martiniquaise
? »
Sans se démonter, il s’est payé la mienne
« Pourquoi j’aurais pas la peau bleue et les yeux rouges
? Tu t’es vu, toi ? t’as les
yeux bleus, mais tout le reste est rouge ! »
C’était vrai qu’avec mon coup de soleil, encore
aggravé par le séjour de la journée,
je ressemblais à un homard après cuisson.
« Dis donc, tu parles bien. Remarque c’est normal : tu
m’as tout l’air d’être une baboite ! »
Baboite, c’est le nom que l’on donne chez nous à
des poissons de roche, qui ont presque
toujours la bouche ouverte. D’où le surnom de baboite
donnée du coup aux gens qui parlent même quand ils n’ont
rien à dire.
« Que nenni
» me rétorque le poisson « je suis un gobi... LE
gobi... le gobi bleu, évidemment »
« Ah, désolé... je ne savais pas q’il existait
des gobi au sang bleu..tu es donc le roi du peuple poissonnier ? »
« On peut dire ça, oui... LE GOBI BLEU.. c‘est
moi ! »
« Mais pourquoi t’es bleu ?? Y a des schtroumpfs même
chez les poissons ?? »
J’ai eu l’impression qu’il souriait.
« Tu n’as jamais entendu parler du gobi bleu ??? »
« Ben non... je connais la sardine qui a bloqué le port
de Marseille... je connais les sirènes.. on m’a parlé
de la fameuse sirène des Chantiers.. j’ai entendu parler
des requins bleus.. mais le gobi bleu, non !! »
« Tu as été élevé à la play
station .. au Goldorak animé...T’as pas eu de grand père
pour te raconter des histoires... »
Je ne savais pas
trop quoi dire, pour une fois. Il avait raison, le gobi. J’avais
passé plus
de temps devant des jeux vidéos qu’à lire des
légendes. Même si j’ai essayé de rattraper
un peu, depuis...
Il a ajouté :
« S’il te plait... dessine moi un poisson »
Ca m’a estomaqué pour de bon... il me prenait pour un
peintre ?
« J’ai pas de crayon.. et même pas de papier.. »
lui ai-je répondu
Il a ri, comme peut rire un poisson, je suppose. Je ne voyais pas
bien pourquoi... et je ne comprenais pas bien son histoire de dessiner
un poisson....
Il a soupiré.
Et m’a dit :
« Bon.. c’est pas grave... mais promets moi de te souvenir
de ca :
« s’il te plait, dessine moi un poisson ! ». D’accord
? »
« si tu veux ... mais c’est pas facile à placer
dans la conversation ?? »
Il a soupiré à nouveau.. Comme peut soupirer un gobi
? Et en guise d’adieu a ajouté
« Tu y arriveras.. Allez, on m’attend aux Deux Frères,
j’ai rendez vous avec la fée Clochette et le Petit Prince
»
« Ce sont des poissons ?? »
Il a plus rien dit, m’a tourné...le dos ???
J’ai tendu
la main, j’ai à peine eu le temps de caresser son dos,
de la nageoire à la queue. Il a disparu,
j’ai voulu me pencher, et je me suis retrouvé la main
dans la flotte.Ca m’a réveillé : je suppose que
j’avais
dormi quelques instants, que j’étais parti vers l’avant,
et que dans mon demi sommeil j’avais jeté la main devant
moi ?
Mon livre, lui, était tombé entre mes deux pieds.
Je l’ai récupéré en râlant, et j’ai
décidé qu’il était temps de rentrer à
la maison.
En repartant,
à l’entrée de la plage, je l’ai vu.
Qu’elle était belle, dans la lumière du soir...
Elle était en jeans, mais pas bleus. Marron. et une chemisette
jaune. De bleu, elle n’avait rien. Même pas les yeux,
qui regardaient la pinède..... Ses yeux étaient verts..
Verts d'eau...et je m'y suis évidemment noyé. Noyé
dans un vert d'eau, ca ne pouvait arriver qu'à moi.
Je me suis arrêté à sa hauteur. Elle était
assise, un carton à dessin sur ses genoux. Elle dessinait les
pins.
Elle avait l’air concentrée, les sourcils froncés.
Je me suis demandé comment l’aborder, sans prendre un
gros râteau.
C’est venu tout seul
« S’il te plait.... dessine moi un poisson ? »
les sourcils toujours froncés, elle m'a regardé,puis....
elle m’a souri...
« Tu préfères pas un mouton ? »
« Un mouton ? »
« Oui. Le petit Prince, c’est dessine moi un mouton !
»
Le Petit Prince.. J’ai regardé vers les Deux frères,
puisqu’il devait être là, le Petit Prince, avec..
la fée clochette ? et le gobi bleu ??
Puis je l’ai regardé à nouveau.
On s’est plus quitté.
En repartant de La Verne avec moi, elle chantonnait.....
Un truc qui parlait de vivre vieux et de faire bonne souche…
Louis
VAISSE - Novembre
2008
Tout individu tentant un plagiat ou se livrant à une reproduction
interdite sera frappé de la terrible malédiction du
Gobie Bleu !!!!